Un reproche souvent fait au capitalisme est qu’il dépend absolument de la « croissance » pour exister. Sans elle, le système s’écroulerait, ce pourquoi la croissance est recherchée à tout prix, de manière perpétuelle, voire exponentielle.
En fait, la croissance n’est pas inhérente au capitalisme, qui n’est en fait qu’un système de normes définissant la manière dont les humains coopèrent économiquement entre eux (c’est-à-dire par libre choix plutôt que par la force). La viabilité du capitalisme ne dépend d’aucune croissance minimale intrinsèque.
Ceci dit, la croissance perpétuelle est-elle souhaitable? Dans les pays industrialisé, le niveau de vie n’est-il pas déjà suffisamment élevé? Pourquoi devrions-nous épuiser nos ressources et détruire la planète pour consommer encore plus?
La croissance de quoi?
Certes, le niveau de vie qui prévaut présentement dans les pays industrialisés est confortable, mais pourquoi faudrait-il qu’il arrête de s’améliorer? L’individu moyen vit effectivement très bien, mais il y a encore beaucoup de gens dont le niveau de vie laisse encore à désirer et qui bénéficieraient grandement d’une croissance économique accrue.
Tout d’abord, il faut définir de quelle genre de croissance on parle : du PIB? de la population? de la consommation? L’erreur est de définir la croissance en se basant sur le PIB, ce qui est la vision keynésienne des choses. La vraie croissance est celle du capital productif de l’économie, en quantité et/ou en qualité.
Il y a plusieurs façons d’améliorer son niveau de vie, dépendamment des besoins marginaux et des désirs de chaque individu. Certains souhaiteraient s’alimenter mieux ou se loger mieux, d’autres voudraient faire quelques voyages et se payer un peu de luxe, d’autres voudraient peut-être travailler moins, prendre une période sabbatique ou une retraite anticipée. Dans tous les cas, l’augmentation du niveau de vie nécessite une augmentation de la capacité productive de l’économie.
Il y a plusieurs manières pour un travailleur de voir sa capacité productive augmenter. Pour ce faire, il faut que la valeur ajoutée de son travail augmente, c’est-à-dire la différence entre la valeur de ce qu’il produit et le coût des ressources et du capital injectées dans le processus de production du bien ou service produit. Autrement dit, il faut que le bien ou service vaille plus cher que ce qu’il coûte à produire, sinon il y aurait gaspillage de ressources et aucune richesse ne serait créée, ce qui résulterait en un appauvrissement de la société.
Une première façon d’y arriver est la formation. En apprenant de nouvelles techniques, un travailleur peut arriver soit à produire des biens de plus grandes valeur de par leurs qualités intrinsèques et/ou à produire des bien à moindre coût. Dans les deux cas, la valeur ajoutée augmente, ce qui va de pair avec la rémunération potentielle de ce travail et le niveau de vie du travailleur. Cependant, la formation nécessite un investissement soit de la part du travailleur, soit de l’entrepreneur qui finance la formation de ses employés, ou les deux à la fois.
Une deuxième source d’augmentation de capacité productive consiste à développer de nouvelles technologies qui permettent soit de produire des biens de plus grande qualité et/ou de les produire à moindre coût. Encore une fois, ces nouvelles technologies arrivent à faire augmenter la valeur ajoutée générée par le travailleur. Pour accéder à ces gains, des « innovateurs » doivent investir en recherche et développement, puis des entrepreneurs doivent investir du capital pour acquérir ces nouvelles technologies.
Lorsqu’ils font baisser les coûts de production, ces deux vecteurs de croissance contribuent au niveau de vie du travailleur de deux manières : 1) en faisant augmenter sa rémunération et 2) en faisant augmenter son pouvoir d’achat (puisque les biens et services coûtent moins cher, chaque dollar de salaire permet d’obtenir davantage de choses). Dans la mesure où le travailleur décidera d’utiliser ce pouvoir d’achat supplémentaire pour consommer davantage plutôt que pour travailler moins ou épargner de manière à devancer sa retraite, la demande de biens et services augmentera. Pour subvenir à cette demande accrue, les entrepreneurs devront investir dans l’expansion de leur capacité de production. Cela offrira l’opportunité à un certain nombre de travailleurs d’améliorer leur sort en obtenant un meilleur emploi. Autrement dit, cette croissance de la capacité de production fera augmenter la demande de travailleurs et, par conséquent, le prix du travail, c’est-à-dire la rémunération.
Ces graphiques (source) démontrent à quel point le niveau de vie est corrélé à la productivité, laquelle dépend de l’innovation et de la formation. J’ajouterais cependant que l’utilisation du PIB comme mesure de richesse comporte plusieurs bémols à ne pas négliger.
Le cercle vertueux de l’investissement
On constate donc que la croissance du niveau de vie des gens dépend de l’investissement dans la capacité productive de l’économie, soit en formation, soit en développement technologique, soit en expansion des opérations. Mais d’où vient cet investissement? Comment est-il financé? En fait, dans un système monétaire où la banque centrale n’inonde pas les marchés financiers de monnaie créée ex nihilo, l’investissement vient de l’épargne. Cette épargne peut provenir d’un travailleur qui décide d’investir une partie de son salaire en actions, obligations ou dépôts bancaires plutôt que de le consommer entièrement. Elle peut aussi provenir d’une entreprise qui réinvestit une partie de ses profits plutôt que de les verser entièrement aux actionnaires sous forme de dividendes. Dans les deux cas, en finançant l’investissement, l’épargne fait grossir le capital productif de l’économie : c’est l’essence du capitalisme. D’ailleurs, plus le niveau de vie d’un travailleur augmente, plus il aura tendance à épargner ses gains plutôt qu’à les consommer. Cela résulte en une augmentation des fonds disponibles à l’investissement et, par conséquent, à une accélération de la croissance future du niveau de vie. Notez aussi le rôle des profits, non seulement comme signal qu’une activité économique produit de la richesse plutôt que de gaspiller des ressources, mais aussi comme source de financement pour l’investissement, qui mène à l’amélioration du niveau de vie.
Les limites de la croissance
Vu de cette manière, la croissance n’a aucune limite intrinsèque. Notez que je n’ai pas parlé ici de croissance de la population, laquelle peut bien décélérer ou même devenir négative sans nuire au niveau de vie. En fait, si on pousse ce raisonnement à l’extrême, nous pourrions atteindre un stade où les gens ne travaillent presque plus et passent leur temps à profiter de la vie.
Cette vision de la croissance est fort différente de la vision keynésienne qui dicte présentement les politiques gouvernementales. Les keynésiens visent le plein-emploi, et pour y arriver il faut faire augmenter la « demande agrégée». Pour ce faire, il faut que les gens épargnent moins et consomment davantage. On demande donc à la banque centrale de faire baisser les taux d’intérêt autant que possible, pour décourager l’épargne et stimuler la consommation, incitant même à l’endettement. S’il n’y a pas d’épargne, comment alors financer l’investissement? Pas de problème! En créant de la monnaie ex nihilo, la banque centrale produit une forme « d’épargne artificielle » pour remplacer l’épargne authentique des travailleurs/consommateurs. Le keynésianisme, outillé d’une banque centrale et d’une monnaie fiduciaire, arrive donc à complètement désarrimer la consommation de l’investissement, et donc à miner l’essence du capitalisme. L’offre et la demande de capital sont dé-coordonnés. D’autre part, les keynésiens considèrent que les dépenses du gouvernement font partie du PIB. Donc, lorsque la croissance de la consommation n’est pas au rendez-vous, ils n’hésiteront pas à mousser les dépenses gouvernementales pour stimuler la demande agrégée.
On constate donc que du point de vue keynésien, la croissance est un objectif à atteindre à tout prix; une nécessité vitale.
En ce qui a trait à la croissance de la population, les keynésiens sont terrorisés par la décélération de celle-ci et par le vieillissement démographique que cela engendre, lequel met une pression baissière sur la croissance du PIB total. La réduction du PIB potentiel total est un problème majeur pour l’État puisque ses recettes fiscales diminueront alors que ses dépenses continueront d’augmenter. En outre, les retraités sont de grands consommateurs de services sociaux, surtout en santé. Notre système d’État-providence fait en sorte que ces retraités se retrouvent sur le dos des contribuables pour l’obtention de généreux services sociaux, d’autant plus qu’en raison des politiques keynésiennes décrites ci-haut, ils ont peu épargné et se sont endettés. Vous comprenez maintenant pourquoi la croissance est une telle obsession pour les sbires du gouvernement.
D’ailleurs, ce comportement est facilement observable lorsqu’il est question des politiques des gouvernements à l’égard des ressources naturelles. Les ressources minérales (pétrole, gaz, métaux, potasse) présentes dans le sous-sol au Canada appartiennent en grande majorité aux gouvernements. Les gouvernements louent des droits d’exploitation aux entreprises désirant y faire de l’exploration et une fois la production entamée, ces gouvernements perçoivent de juteuses redevances. Cependant, ces entreprises qui louent les droits d’exploitation de ces terrains doivent se dépêcher de démarrer la production avant l’expiration du bail, sinon elles le perdront! Le gouvernement force donc ces entreprises à produire même si le prix ne le justifie pas, engendrant parfois des surplus. Ces surplus font baisser les prix encore plus, ce qui stimule la consommation et le gaspillage de la ressource. La même chose s’applique aux ressources forestières au Québec. Les coupes à blanc décriées par Richard Desjardins et sa bande se produisent sur des terres qui appartiennent au gouvernement. Ces producteurs ont tout intérêt à couper le plus possible avant l’expiration de leur bail, peu importe le prix.
Les gouvernements ont tout intérêt à agir de cette façon; c’est-à-dire à avoir une vision à court terme. Le but des politiciens est de se faire élire aux quatre ans (ou moins!). Pour améliorer leurs chances de se faire réélire ils doivent dépenser. Et pour dépenser le plus possible, il faut le plus de revenus possible, d’où leur intérêt à exproprier la propriété minérale du sous-sol. Les politiciens ont donc un gros incitatif à ce que ces ressources soient exploitées le plus rapidement possible, de façon à s’accaparer le plus de redevances possible; c’est pourquoi les gouvernements incitent les producteurs à produire davantage à court terme, même si le prix du marché ne le justifie pas. Les producteurs ne sont donc pas en position de conserver les ressources jusqu’à ce que le signal de marché (i.e. un prix plus élevé) les incite à produire. Les gouvernements empêchent donc le marché de faire son travail de gardien des ressources naturelles.
Le capital contre le travailleur?
Mais attendez un instant, quand un entrepreneur adopte une nouvelle technologie, cela ne lui permet-il pas d’utiliser moins de travailleurs en remplaçant ceux-ci par une machine? Dans ce cas, le capitaliste est le seul à bénéficier de l’investissement, alors que les travailleurs en souffrent? C’est ce que Keynes avait nommé le « chômage technologique ».
Prenons un exemple fictif : une entreprise de téléphonie adopte une nouvelle technologie informatique qui lui permet d’éliminer un certain nombre d’emplois. Quelles seraient les conséquences?
a) Les coûts sont réduits, ce qui permet à l’entreprise de réduire ses prix pour gagner des parts de marchés.
b) La réduction de prix permet aux consommateurs de consommer davantage de ce service, ce qui fait augmenter les profits de l’entreprise.
c) Les consommateurs pourront aussi utiliser l’économie pour consommer autre chose, ce qui fera augmenter la demande de biens et services dans d’autres industries, qui absorberont une partie des emplois éliminés.
d) Cette nouvelle technologie nécessite l’embauche de techniciens et informaticiens, qui sont mieux payés que les travailleurs mis à la porte. Ceux-ci occupaient auparavant des emplois inférieurs (ce qui est une supposition plausible), qui seront dorénavant disponibles à d’autres travailleurs présentement au chômage.
e) L’augmentation des profits de l’entreprise pourra être utilisée pour investir davantage dans l’entreprise, créant ainsi de nouveaux emplois, ou encore pour payer davantage de dividendes aux actionnaires.
- Les actionnaires pourront soit utiliser ces dividendes pour consommer davantage, ce qui fera augmenter la demande de biens et services ailleurs dans l’économie, ce qui sera positif pour l’emploi.
- Ou encore réinvestir cet argent dans d’autres entreprises, leur permettant de financer des investissements créateurs d’emplois.
g) Cependant, le bémol est que pour se trouver un nouvel emploi, les travailleurs mis à pied devront sans doute suivre une formation.
Ceci dit, au cours des dernières décennies, beaucoup de travailleurs en viennent à perdre la « course contre les machines », et ce pour diverses raisons, dont notamment un système d’éducation vétuste et de mauvais incitatifs induits par l’interventionnisme étatique. Il n’en demeure pas moins que la croissance du capital productif de l’économie augmente le niveau de vie de la population.
Conclusion
Avant de parler de la croissance, il est important de bien la définir. De par sa nature, l’humain tentera toujours d’améliorer son sort, soit en consommant plus, soit en travaillant moins. La croissance du niveau de vie peut parfois être négative pour le PIB; et alors? Par ailleurs, la croissance du niveau de vie n’implique pas nécessairement de rosser la planète pour en extraire de plus en plus de ressources. En fait, à l’aide du développement technologique, on arrive à produire de plus en plus en utilisant moins de ressources naturelles. Prenez par exemple le iPad, qui permet de remplacer une panoplie de gadgets (ordinateur portable, console de jeu, appareil photo, GPS, etc). Cette innovation améliore notre niveau de vie tout en étant négative pour le PIB et en consommant moins de ressources.
On constate finalement que c’est le gouvernement qui poursuit la croissance à tout prix et que, ce faisant, il a anéanti les leviers du capitalisme, lesquels canalisent l’effort humain vers la création de richesse.