Le marché des CDS souverains englobe à la fois les CDS adossés à la dette d’un Etat et ceux structurés sur des indices représentatifs de dettes publiques. Par exemple, l’iTraxx SovX Western Europe Index comprend un éventail assez large d’emprunts (15) levés par les principaux Etats de l’Union Européenne. Cet indice a été créé par le Groupe Markit de Londres, qui rassemble une quinzaine de grandes banques (Goldman Sachs, Morgan Chase, etc). La demande pour ces contrats de CDS indiciels est passée de 53 milliards de dollars en janvier 2010 à 110 milliards en février. Dans le même temps, les CDS adossés uniquement à la dette grecque sont passés d’un montant de 38 milliards de dollars en février 2009 à 85 milliards en février 2010, pour un sous-jacent d’environ 300 milliards de dette grecque totale. Du coup, on comprend le rôle important joué par les CDS dans la crise grecque. C’est que les banques européennes sont lourdement créditrices vis-à -vis de ce pays : les banques françaises seules détiennent plus de 55 milliards d’euros sur le Grèce.
En plus de son double rôle de moyen de couverture et de spéculation, le marché des CDS permet de procéder à une « tarification » du risque. En ce qui concerne la dette grecque, la prise de risque que confère le marché des CDS était égale à 5,1% le 22 avril. Son évolution est fortement corrélée à l’évolution du « spread » des obligations grecques, supérieur à 540 points de base, par rapport au « Bund « allemand (considéré comme le taux de référence de la zone euro), ce même jour.
Il apparaît donc que la prime du CDS sur la dette grecque fonctionne comme un indicateur avancé du coût du risque, que la Grèce devra payer pour lancer de nouveaux emprunts obligataires. Sauf que le marché des CDS est « opaque » ( c’est un marché de gré-à-gré) relativement volatil et susceptible d’être manipulé (cf. les accusations portées contre Goldman Sachs). Son avantage, cependant, c’est d’être un indicateur du prix du risque, disponible en permanence, contrairement au « spread » des obligations qui ne peut être constaté qu’au moment où l’émission est effectuée et, par ailleurs, tourné vers l’avenir (contrairement aux notations des agences spécialisées, qui sont en général en retard sur les évènements). Par ailleurs, le volume des transactions sur les CDS est faible par rapport au volume de « cash » (les obligations sous-jacentes) : en position « nette », il ne dépasserait pas 10% en moyenne pour les Etats européens (et 4% pour la Grèce !). Et les « hedge funds » régulièrement accusés d’intensifier la spéculation n’ont représenté que 15% des acheteurs de CDS, en 2009.
Le marché des CDS souverains a donc son utilité économique (instrument de couverture et de tarification). Reste à limiter les inconvénients d’être un vecteur de spéculation, ce qu’il est également. Quant à interdire le marché des CDS souverains aux spéculateurs, en obligeant, par exemple, les intervenants sur ce marché à posséder des obligations en collatéral, cela ne me paraît pas forcément une bonne idée, car la spéculation permet aussi d’apporter de la liquidité au marché et, par ailleurs, les intervenants emprunteraient des titres (obligations, par exemple) si on interdisait la vente des CDS «nue» ou se reporteraient pour spéculer sur ces mêmes titres, si on décidait d’abolir les CDS « souverains », entraînant, de ce fait, une volatilité beaucoup plus forte sur ce marché des titres. Il semble plus utile de renforcer en priorité la transparence du marché : recours à un enregistrement des transactions sur des marchés « organisés » et compensation multilatérale des ordres grâce à l’utilisation des institutions spécialisées (LCH Clearnet, Eurex Credit Clear, et bien sûr, l’ICE).
Ces initiatives devraient également permettre l’arrivée de nouveaux acteurs, de façon à éviter que ce marché reste contrôlé par un « oligopole de fait » formé par les très grandes banques et quelques « hedge funds » spécialisés.
Pour conclure, je dirais qu’il est tout à fait souhaitable de favoriser la transparence du marché des CDS « souverains ». Par contre, dans l’état actuel du marché, il serait certainement contre-productif de vouloir les interdire ou tout du moins obliger les intervenants à posséder en propre les titres sous-jacents.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC
Président du Club Finance HEC