En Europe et aux USA, les groupes de pression des grandes entreprises montent aux barricades pour prophétiser une vague de licenciements sans précédent ainsi que la perte de compétitivité des entreprises liées à la décarbonisation.
La Suisse va voter à la fin septembre pour activer cette transition écono-energétique d’ici à 2050 et elle n’échappe pas à la pression de ces lobbies.
Est-ce que les emplois paieront massivement la facture et quel est l’impact des énergies renouvelables sur la productivité et l’innovation?
Surtout ne rien changer
Si l’on se fie à la doctrine du MEDEF français ou du puissant lobby EconomieSuisse, la transition énergétique fait planer une vague de licenciements, de désindustrialisation ou de perte de compétitivité qui menacent la croissance et les entreprises.Les grands groupes industriels, actifs notamment dans l’automobile, les transports, la production d’énergie, l’armement, l’alimentation, la construction, etc., qui dirigent et financent ces lobby, profitent souvent d’une rente monopolistique qui les pousse à conserver le plus longtemps possible le statu quo et à éviter tout changement dans le microcosme où ils ont établi leur camp. Souvent ces entreprises ont investi d’importants capitaux financiers dans leurs outils de production avec la nécessiter d’être amorti sur des périodes souvent longues. Le statu quo est la situation privilégiée.
Au-delà de cette paralysie recherchée, le capitalisme repose sur une spirale continue de la réduction des coûts et l’innovation a presque toujours permis de relever ce défi. Dans cette course inlassable, deux facteurs sont devenus déterminants: diminuer les coûts de personnel et augmenter l’efficience énergétique.
Emploi : Les robots sont devenus assez intelligents pour devenir des ouvriers
Parmi nombre de facteurs, l’Europe est née sous l’impulsion des multinationales, dont le dessin était d’instaurer une liberté de circulation entre les travailleurs des différents pays afin d’augmenter la concurrence entre les employés et de diminuer leurs salaires. A cet égard, la libre circulation a été une réussite, mais elle pourrait être concurrencée aujourd’hui par l’immigration jugée encore plus rentable. C’est en tout cas le pari de l’Allemagne. La course à la réduction des coûts du capital humain est à ce prix.Cependant, l’arrivée de robots, plus intelligents que les ouvriers, pourrait être un tournant décisif.
Par exemple, bien qu’un robot soit plus lent à assembler une montre, il travaille sans broncher 24h/24, 7 jours sur 7. L’heureux employeur n’a plus à cotiser au chômage ou aux différentes assurances sociales alors que le leasing de Frs 6'000.--/mois de sa nouvelle recrue est fiscalement déductible.
Ces féroces prédateurs ne s’attaquent pas uniquement aux emplois répétitifs ou pénibles. On les retrouve de plus en plus dans les services à haute valeur ajoutée. Les fruits d’une recherche par une armée d’avocats et de juristes arrivent en un mois à des résultats tout aussi pertinents qu’une machine dotée d’intelligence artificielle en l’espace de 24 heures. Ce gain de productivité va devenir la norme et les investissements dans le facteur humain vont être transférés dans des actifs fiscalement déductibles.
Dans le monde, depuis la crise de 2008, plus de 10 millions d’emplois ont déjà été remplacés par des robots et le rythme s’intensifie. Cette révolution va être socialement virulente et ceci indépendamment des mesures climatiques.
Efficience Energétique: la deuxième opportunité d’optimalisation des coûts d’une entreprise.
Aux USA, entre 1900 et 1980, l’efficacité énergétique globale (rapport entre le travail physique utile via l’extraction des matériaux et son maximum) a augmenté de 2,3 à 13%. Avec les nouvelles technologies de l’internet des objets, ce chiffre pourrait tendre vers les 40%. Ce chiffre fait office de Graal pour celui qui cherche à rester compétitif.L’émergence des énergies renouvelables, dont le coût de production marginal est proche de zéro (le soleil, le vent sont gratuits) couplé avec l’internet des objets vont permettre de s’approcher de ce but. Ainsi les PME qui investissent dans la production de renouvelable (capex) se trouvent dans une situation bien plus favorable que les grands groupes statiques. Capable d’alimenter leurs usines avec de l’énergie renouvelable au coût marginal quasi gratuit, elles obtiennent aujourd’hui un avantage qui va devenir la norme d’ici à quelques années.
Aux USA, en 1918 alors que l’électrification des maisons était florissante et acquise, les grandes entreprises américaines de l’époque, freinaient des quatre fers cette nouveauté énergétique. Il aura fallu attendre plusieurs années, pour qu’elles fassent le grand saut avec le succès que l’on connait.
Aujourd’hui, si nous avions écouté la voix des lobbies, il est presque certain que nous n’aurions pas encore accès à l’internet. Il est d’autant plus fascinant et hilarant de découvrir la stratégie de communication d’EconomieSuisse pour la campagne contre la prochaine votation sur l’Economie Verte avec le moto : «ne pas revenir au Moyen-Age».
Le Leadership énergétique va-t-il remplacer celui de la puissance armée?
La matrice Digitalisation/Internet/Energie va bouleverser le marché du travail et la stratégie des entreprises. La Chine l’a bien compris, elle qui se positionne géopolitiquement dans ces domaines. Pour éviter un clash social, Pékin doit impérativement créer des emplois pour ses travailleurs et trouver de nouvelles niches industrielles. Il semble que le gouvernement ait porté son dévolu sur les énergies renouvelables.En une décennie, la Chine a déjà anéanti l’industrie solaire américain et européen. Grâce à la passivité de Bruxelles et Washington, elle est en passe d’accomplir le même tour de force avec l’éolien. Son annonce de participation à l’accord COP21 de Paris précise un peu plus sa stratégie et son leadership. Aurait-elle l’ambition de devenir le nouveau Moyen-Orient de l’énergie ?
A long terme, la force d’un pays ne sera plus uniquement calculée sur sa puissance militaire, mais également à sa capacité de maîtriser la production d’une énergie propre gratuite, de répondre aux changements climatiques et à intégrer l’internet des objets dans une énergie sans carbone.
Les Suisses vont voter en prenant en compte ou pas l’avenir des prochaines générations. Mais quelque soit le résultat, les robots remplaceront toujours plus de travailleurs et les entreprises qui freinent aujourd’hui des quatre fers l’efficience énergétique, risquent bien à l’avenir de se trouver à l’arrêt pour de bon.