Le concept est simple: exporter en Europe du gaz de schiste américain pour casser la main mise de Moscou sur les livraisons au Vieux-Continent. En réalité, importateur net de gaz et de pétrole, les USA n'ont aucune arme énergétique contre la Russie.
Vladimir Poutine a dû s'étrangler de rire à l'annonce de cette idée tant il est évident que les forages de schiste made in USA n'ont qu'un avenir limité dans le temps. Cependant cette proposition montre le décalage financier entre la Russie et les USA. Les Russes vendent 3 fois plus cher leur précieux or bleu alors que les Yankees doivent lourdement subventionner cette technique largement déficitaire.
Le Concept: Affaiblir Moscou et renforcer l'Europe
Depuis 2011, les Etats-Unis connaissent une légère augmentation de production énergétique grâce au pétrole et au gaz de schiste. Malgré tout, les USA restent l'un des plus grands importateur de pétrole et de gaz.La semaine dernière, plusieurs élus ont exhorté le Congrès et la Maison-Blanche à faire sauter un verrou pour autoriser l’exportation de leur gaz vers l’Europe.
Dans une tribune publiée vendredi dans le Wall Street Journal, le président républicain de la Chambre des représentants, le fantasque John Boehner, se dit partisan de cette nouvelle stratégie visant à réduire la dépendance énergétique européenne (30%) de Moscou et à affaiblir ainsi le levier du Kremlin: «L’Amérique a non seulement le droit de développer et de commercialiser ses ressources naturelles. Au vu des dangers croissants, elle en a l’obligation.»
C'est beau, c'est patriotique, mais John Boehmer a oublié de préciser que cette opération permettrait de rentabiliser les investissements des forages schistes. Avec un prix de vente de 4$ le m3, les forages de schiste sont pratiquement tous déficitaires. Par contre en Europe, où le prix dépasse les 12$ et le Japon (15-18$), les gazodollars pourraient suffire à engranger quelques bénéfices et en reverser une partie aux républicain pour leur prochaine élection présidentielle.
Changer les lois
Les USA font l’objet d’un quasi-embargo sur ses exportations d’hydrocarbures en raison d’une loi en vigueur depuis la crise pétrolière des années 1970. Le président Obama peut exporter ses carburants fossiles au Mexique, au Canada et dans quelques pays ayant conclu un accord de libre-échange avec Washington. L’Europe n’en fait pas partie.Or, si la Russie demeure le plus grand exportateur de gaz naturel avec son champion national Gazprom, l’Amérique a récemment augmenté sa production gazière grâce aux techniques de fracturation de schiste. Cependant, elle reste toujours importatrice de cette précieuse énergie. Quel serait le sens d'exporter en l'Europe/Asie pour en devoir importer d'autres pays?
Côté revenus financiers, le budget russe repose en grande partie sur les rentrées des pétrodollars. A l'inverse, les USA grèvent leur budget de subventions (-17'900 milliards de $ de dettes) pour extraire leur énergie et l'offrir aux automobilistes ou aux industries.
Une arme à double tranchant
L’autre écueil d’importance pour développer cette arme énergétique contre la Russie de Vladimir Poutine, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes. Ils devront faire des choix drastiques. Le boom provoqué par la fracturation hydraulique a fait baisser considérablement le prix du gaz au point de faire revenir sur sol américain des sociétés qui avaient délocalisé.Des entreprises américaines grandes consommatrices d’énergie mettent en garde contre une hausse des prix du gaz. Les plus sceptiques ajoutent que même si le Washington ouvre les portes à l’exportation, les sociétés d’exportation sont libres de vendre leur gaz où elles veulent. En Asie par exemple, où le prix est quatre fois plus élevé qu’en Amérique. L’arme contre Poutine se retournerait contre les USA.
Les milieux environnementaux soulèvent enfin une autre controverse. Ils jugent que les exportations à marche forcée risquent de porter atteinte à la lutte contre le changement climatique. Le prix du gaz va augmenter et rendre l’usage du charbon, beaucoup plus polluant, à nouveau compétitif pour les centrales électriques.
Avec: Stéphane Bussard le Temp et AFP