Laurent Horvath
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La Révolution des gaz de schiste: Quels impacts aux États-Unis et pour l'UE ?
Audience de l'article : 1572 lecturesCoralie Schaub et Christophe Alix ont interviewé Thomas Spencer, coauteur d’une étude sur les hydrocarbures de schiste, pour avoir un autre regard sur la situation actuelle.
Au-delà du cas polonais, la question de l’effet d’entraînement des gaz et pétrole de schiste sur la croissance reste posée. Y compris aux Etats-Unis, redevenus l’an passé le premier producteur mondial d’hydrocarbures grâce à l’essor du schiste. Mais il serait très exagéré d’y voir l’origine d’un miracle économique. D’abord parce que sa rentabilité n’est pas au rendez-vous. Avec des investissements colossaux et de bas prix de vente divisés par trois, les rendements restent décevants.
Ensuite, parce que le gaz de schiste arrive à un pic et que sa production risque de décliner. Enfin, parce que son impact sur l’économie reste très limité et localisé, en termes de secteurs et d’emplois. C’est la conclusion d’un document «agnostique» de 60 pages, publié le 13 février 2014 par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
L’un des coauteurs, Thomas Spencer, directeur du programme climat de cet institut de recherche lié à Sciences-Po, précise les résultats de l’étude.
Vous affirmez que les gaz de schiste ne sont même pas une panacée aux Etats-Unis, voilà qui va à contre-pied de ce qu’on a entendu jusqu’ici…
Thomas Spencer: C’est un message que l’on n’entend pas très souvent, c’est vrai. Mais nous ne sommes pas seuls à le dire. Une étude de l’Université de Stanford, en Californie, datant de septembre démontre comme nous que l’impact de la «révolution» des gaz et pétrole de schiste sur la croissance sera marginale aux Etats-Unis. Notre estimation optimiste est que son effet à long terme sur le niveau du PIB du pays - et non son taux de croissance annuel - sera d’environ 0,84% entre 2012 et 2035. Soit moins de 0,04% de croissance supplémentaire par an.
Et cela malgré la chute spectaculaire du prix du gaz naturel aux Etats-Unis, qui n’est d’ailleurs pas viable à long terme : après avoir plongé jusqu’à 1,95 dollar par million de BTU (British Thermal Unit) début 2012, il est remonté à près de 5 dollars [3,6 euros, ndlr] en janvier. En fait, d’autres facteurs jouent bien plus sur la croissance et la compétitivité des Etats-Unis que les hydrocarbures de schiste, notamment la baisse du dollar par rapport au yuan chinois et à l’euro.
Vous démontrez que seuls certains secteurs bénéficient de cette «révolution».
Thomas Spencer: Oui, l’impact sur le secteur manufacturier a été minimal. En fait, la baisse du prix du gaz aux Etats-Unis a profité aux industries qui en utilisent beaucoup comme matière première ou source d’énergie. Comme la pétrochimie, les fabricants d’engrais, de matériaux plastiques, d’aluminium, d’acier ou les raffineries pétrolières. L’ensemble de ces industries ne représente qu’environ 1,2% du PIB des Etats-Unis. Les exportations de celles-ci ont certes presque triplé entre 2006 et 2012, mais cela n’a pas suffi à enrayer l’aggravation du déficit commercial américain pour l’ensemble des produits manufacturiers. Les retombées économiques des gaz et pétrole de schiste pour les Etats-Unis sont donc très sectorielles. Et très locales : dans les Etats qui en produisent, la croissance du PIB n’est pas beaucoup plus élevée qu’ailleurs. Sauf pour le Dakota du Nord, dont l’économie est très réduite et où il n’y a pas beaucoup d’autres activités.
Les gaz de schiste n’ont-ils pas permis la création de 600 000 emplois aux Etats-Unis ?
Thomas Spencer: En analysant les données du Bureau des statistiques du travail américain, nous parvenons plutôt à 100 000 emplois directs créés entre 2008 et fin 2013 dans la production de gaz et de pétrole et les services liés. Soit un impact très limité, sachant que la population active américaine compte 155 millions de personnes. Si l’on prend aussi en compte les emplois indirects, nous estimons les créations d’emplois à 400 000, soit 0,25% de la population active des Etats-Unis. D’autres études, comme celles du centre d’études IHS Cera, parviennent à un chiffre plus important, mais leurs méthodes de calcul sont peu transparentes.
Pour parvenir à créer 100 000 emplois directs, il a fallu forer beaucoup de puits…
Thomas Spencer: Oui, 130 puits par mois en moyenne entre 2000 et 2010, rien que pour l’exploration. C’est une activité industrielle extrêmement intensive.
Que pourraient apporter les gaz et pétrole de schiste à l’Europe ?
Thomas Spencer: Nous avons abordé ce sujet de façon agnostique en nous posant cette question : si on les exploitait sur le Vieux Continent, qu’est-ce que cela ferait ? La réponse est qu’il ne faut pas rêver, cela ne va pas changer la donne et surtout pas à court terme. Nous ne savons pas vraiment quelle est l’étendue de nos réserves exploitables. La Pologne, qui s’est lancée il y a quatre ans, compte aujourd’hui une cinquantaine de puits d’exploration. Mais la géologie ne semble pas aussi productive qu’aux Etats-Unis, les schistes sont plus profonds.
Surtout, l’Europe est plus densément peuplée que les Etats-Unis, le terrain est bien plus fragmenté, les propriétaires privés n’ont pas intérêt à ce qu’on fore chez eux puisque le sous-sol ne leur appartient pas. Et la résistance locale est forte, regardez ce qui se passe au Royaume-Uni autour des premiers puits d’exploration.
Les pro gaz de schiste, comme la navigatrice française Maud Fontenoy, vantent la baisse des prix du gaz et l’indépendance énergétique…
Thomas Spencer: Ce sont des arguments peu fondés sur une analyse robuste. Même dans les scénarios de production les plus optimistes, l’Europe restera très dépendante des importations de gaz et de pétrole. Si l’on considère un scénario moyen, à partir des estimations d’organisations, telles que l’agence internationale de l’énergie (AIE), les gaz de schiste pourraient alimenter de 3 à 10% de la demande européenne de gaz d’ici à 2030-2035. La dépendance aux importations d’énergie fossile continuera à croître et leurs prix resteront déterminés par les marchés internationaux. Tout miser sur les gaz de schiste est une stratégie dangereuse : non seulement cela ne résoudra pas notre problème de dépendance énergétique, mais se laisser séduire ainsi nous distrait, nous détourne des alternatives comme l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.
Il n’y aurait donc aucun impact ?
Thomas Spencer: Cela peut peut-être nous aider un tout petit peu, mais cela ne suffira en aucun cas à résoudre l’équation énergie-climat-compétitivité. Plusieurs études montrent que sur le long terme, le coût d’une transition basée sur l’efficacité énergétique, les renouvelables et d’autres sources d’énergie peu carbonées, est égal voire inférieur au «business as usual» basé sur les fossiles.
Interview: Coralie Schaub et Christophe Alix, Liberation.fr
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