On nous dit désormais que le chef de l’État doit être considéré comme « social-libéral ». Un tel mot composé ne figure pas dans le dictionnaire de Littré. Un tel être hybride semblait inconnu de Buffon. Et chaque fois qu’on entend un homme politique parler, notamment, d’économie, on devrait surtout se rapporter au fort conseil que leur donnait Jacques Rueff : « Soyez libéraux ou soyez socialistes, mais ne soyez pas menteurs ».
Yves de Kerdrel appartient plutôt à la première catégorie, que je définis comme celle des partisans de la libre entreprise et du droit naturel. Directeur de la rédaction de « Valeurs Actuelles », il tient, chaque jeudi à 7 h 20, sur « Radio Classique » une chronique « Des Idées Neuves ! ». Ce périlleux exercice de suggestions, à performances nécessairement inégales, expose son auteur à ce qu’on ne puisse le suivre les yeux fermés.
Ce 16 janvier cependant, il prenait un risque encore plus considérable que d’habitude.
Il incitait Pierre Moscovici en sa qualité ministre des Finances à ne plus intervenir sur le taux de rémunération du livret A. On qualifie aujourd’hui un tel point de vue d’iconoclaste, en pensant faire un compliment.
Je préférerais, quant à moi, le considérer au contraire comme parfaitement orthodoxe. Mais comme les mots français sont utilisés à contresens par des locuteurs imprudents ou moutonniers, va pour le saluer sous la forme que l’on voudra.
On évoque ici en effet de l’épargne supposée favorite des Français. Plus de 360 milliards d’euros sont ainsi mis de côté par les ménages, si l’on y inclut les comptes dits de développement durable. Si on compare cette épargne de précaution aux investissements sur des contrats d’assurance-vie chargés à concurrence de quelque 1 500 milliards on se trouve quand même en présence d’une composante essentielle de l’épargne nationale. On convient qu’elle concourt à financer le logement social.
Pour des raisons à la fois fiscales, étatistes et démagogiques le taux actuel de 1,25 % se trouve donc maintenu artificiellement haut, nous dit-on. Compte tenu de la ponction fiscale considérable imposée aux placements concurrents en terme de liquidité, notre chroniqueur soulignait que ce petit pourcentage net de 1,25, net d’impôts, devient hautement rémunérateur, supérieur même au marché et donc artificiel.
Pour un libéral, pour un orthodoxe par conséquent, l’artifice sur lequel repose cette performance s’appelle, économiquement, un mensonge. En dehors des querelles de mots et de morale, n’écartons pas cette première approche du problème.
Il existe cependant une seconde approche qui, sans contredire celle-ci, la complète. Et leur combinaison nous convainc que nous nous enfonçons dans une situation inquiétante pour l’Europe.
Là aussi ce qu’on nomme habituellement « inflation » confond trop souvent la cause et la conséquence. On suppose, en théorie, à tort dans la situation actuelle de l’Europe, qu’il existe « un » niveau « général » des prix. Or, il faut aussi remarquer que la masse monétaire de la Zone Euro échappe désormais à toutes les doctrines rationnelles en vigueur et aux accords fondateurs de la Monnaie unique. Le bilan de la banque centrale européenne s’est en effet follement multiplié dans les dix dernières années, alors que l’évolution des prix ordinaires et celle des salaires sont demeurées dans des limites à peu près raisonnables, autour de 2 %. La perte de confiance du système bancaire et la pénurie de l’immobilier en France ont en fait, semble-t-il, compensé la hausse de la masse monétaire en circulation plus lente.
Sans aucun « coup de pouce » le SMIC théorique a été fixé au 31 décembre 2013 à une valeur horaire de 9,53 euros. Il n’a certes été revalorisé que de 1,1 %. Et l’on va même jusqu’à prétendre que les prix n’ont augmenté « hors tabac » que de 0,6 %. La réalité évolue, malheureusement, d’une manière un peu différente. Et elle se traduit par une augmentation constante du nombre des salariés rémunérés au SMIC, et tout simplement à une lente dégradation du niveau de vie
En fait on peut retenir un taux d’érosion « globale » de la valeur de la monnaie aux alentours, en baisse de 2 %, ce qui ramène la performance du placement en livret A à une valeur négative 1,25 – 2 cela fait -0,75 % en termes réels.
Tout cela ne se cantonne pas au domaine des hypothèses abstraites. Si je suis donc l’observation d’Yves de Kerdrel, parfaitement concrète, ce type de placement de précaution, tout en bénéficiant du soutien des pouvoirs publics, parce qu’il se limite à un « capitalisme » n’excédant pas 22 950 euros par personne, enfants compris, en janvier 2013 est à la fois surperformant et, d’un rendement négatif.
Cela veut donc dire qu’en France tout le monde en moyenne investit à perte.
Voilà un pays où celui qui investit s’expose à restituer tous ses gains à l’impôt, où celui qui travaille plus devra supporter de plus en plus de cotisations sociales. Pas très encourageant pour la perspective de créations d’emplois.
Que les politiciens cessent par conséquent de nous mentir : tous ces prélèvements résultent de leur démagogie et de leur incurie. Désormais, ce que Jacques Rueff concevait en son temps comme une supplique devient aujourd’hui une exigence et une urgence.